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Vipassana — 10 days into myself

THE DAY BEFORE

Je suis arrivée à Anuradhapura, la région du triangle sacré, le jour d’avant.

Le guesthouse qu’on m’a conseillé est propre. Ma chambre est simple mais jolie. Surtout, dépourvue de moustiquaire.
Il faudra s’endormir vite. En viser le centre du lit.

Dernier voyage, en tuk-tuk.
J’arrive vers 15H, le lendemain. Au bout d’un chemin de terre rouge : le centre de méditation Vipassana.

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L’endroit est sec, désert. Un panneau désigne l’entrée réservée aux femmes.
Tout cela prend des allures de film.

Je ricane jaune en saluant mon chauffeur, enfourche mon sac a dos et m’engage dans l’allée. Au bout de quelques pas, un homme traverse mon champs de vision et me désigne une direction.
Quelques pas plus loin, un bâtiment, un genre de baraque. Je me déchausse. Une cantine austère, avec des petites tables de bois à hauteur d’enfants, alignées en rang. On dirait une salle de classe. Au fond, deux grandes tables. Derrière, assises : 4 sri-lankaises. Une petite file d’attente d’une demie-douzaine d’autres sri-lankaises patientes devant.

On me fait rapidement signe d’aller me servir à manger. Et, comme je ne comprends rien, on me prend carrément par la main pour me lâcher devant un buffet, au fond de la salle, où fument 4 grands plats de curry végétarien. Je me sers dans une écuelle en inox, puis dépose mon plateau sur une des petites tables. J’ai les genoux qui coincent. J’ai 10 ans.
3 petites nonnes bouddhistes aux cranes rasées, emmaillotées d’ocres, font leurs entrées et prennent place dans la queue en silence.
Mon curry m’arrache la gueule. J’ai la gorge nouée et envie de pleurer.

Soudain, j’entends un piaillement familier : 3 jeunes filles européennes en sac à dos arrivent suantes et papotantes.
Je ne cherche pas à être civilisée et les enchaine direct :
« Heu salut, vous l’avez déjà fait ? Vous venez d’où ? C’est sérieux ? On a toujours le droit de parler là ? Je suis complètement en flippe!»
Les filles ont une petite trentaine, australiennes, globes trotteuses, deux d’entre elles sont sœurs. Pour l’une, c’est la seconde fois. Elle me rassure :“C’est dur, mais c’est faisable et surtout : c’est un truc de malade.”

Cinq autres européennes font leur entrée. Et d’un coup, c’est Barcelone ! On papote, on rigole : « tu viens d’où ? T’as un mec ? T’es en voyage ? T’as des enfants ? T’as pas un peu peur ? C’est un truc de ouf un peu non ? Vos potes vous prennent pas pour des starbes ? ! »
On s’inscrit auprès des femmes de l’accueil, laissant toutes nos possessions a leur bon soin : argent, livres, crayons, carnets, téléphone et appareil photo… On nous prête du linge de lit, des fringues blanches pour ceux qui n’en n’ont pas, une clé et un numéro de chambre.

L’après-midi passe lentement. A moitié effrayée, à moitié excitée, clairement intriguée. Je me sens en colo : complètement rassurée. Mais qu’elle bonne idée d’arriver en avance !

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Ma cellule comporte un lit en fer, le sommier est fait de 5 lattes de bois. Il est recouvert d’un fin matelas usé. Ca va être trop la fête… Au dessus, une moustiquaire, rose à dentelles… à peine trouée, alleluiaaaa..
A coté, ouverte, une salle de bain — enfin un bac de douche dans le ciment et …Un chiotte à la turc. Enfin un trou quoi… Les murs ne touchent pas le toit, il n’y pas de verre aux fenêtres, juste des barreaux sur le haut de la porte.
Je n’y arriverai jamais.
J’imagine déjà la horde d’insectes et de bêtes rampantes en tout genre qui pourrait sortir de ce trou de l’enfer pendant que je dors…
J’épie la chambre de mes voisines : elles ont TOUTES de vrais chiottes! C’est quoi ce délire ?
Ni une, ni deux, je file avant qu’il ne soit trop tard à la réception. A moitié honteuse, je supplie presque : « Excusez-moi, mais pourrais-je (je vous en suppliiiiie) avoir une chambre avec un vrai toilette (qui ferme…) comme mes voisines ? »

Les sri-lankaises ont du mal a comprendre. Je répète, je mime, je finis par dessiner un vrai chiotte sur leur carnet. Elles rigolent et me sourient gentiment, le regard plein de compassion.
« Off course miss. »
Je retourne au baraquement. Ravie comme je ne l’ai pas été depuis longtemps, la clé de la chambre voisine en poche.
Celle-ci est tout aussi spartiate, mais y a un chiotte. Usé certes, mais pas vraiment, crade.
J’ai comme voisine de baraquement, une petite française globe-trotteuse dont le mec est dans le campement des hommes, une irlandaise hippies un peu tox, une italienne volubile en vacances à rallonge et une dame sri-lankaise ne parlant pas l’anglais, qui ne peut s’empêcher de nous montrer à quelle point elle est frustrée de ne pouvoir rigoler avec nous. En tout, dans le centre, nous seront une quarantaine de femmes et une vingtaine d’hommes. Un quart européens, trois quart sri-lankais.
Avec mes nouvelles copines, il nous reste une heure à perdre avant le rassemblement de 19h. On s’habille de blanc, la tenue réglementaire pour la méditation au Sri Lanka et on se met à « nettoyer » nos baraques. Et c’est à grands renfort de sauts d’eau que je déloge de ma salle d’eau … toute une colonie de cafards géants!
Je hurle. Premier hurlement d’une longue série.
Je commence à réaliser la difficulté que je vais avoir à vivre ici seule sans pouvoir parler. J’en tremble, le cœur battant à 20 000 et la larme à l’œil.
L’irlandaise comprend immédiatement que je ne fais pas semblant et tente de me rassurer.
Tu viens d’arriver ?
– ça ne fait que 10 jours… je ne suis pas du tout encore faite à tous ces monstres là…. Sérieux, ça me terrifie. J’ai la phobie des cafards…
T’inquiètes pas, ça fait 3 mois que je suis au Sri Lanka… j’ai pris l’habitude. Tu sais quoi? Si tu ne gères pas un jour, vient taper 2 coups à ma porte. On n’aura pas besoin de violer le silence noble, je saurai que je dois venir t’aider.
Je la remercie avec toute la sincérité que je peux y mettre. Mais je ne peux empêcher mes lèvres de trembler.

L’heure arrive : 19h.
Notre excitation monte.
Nous pénétrons pour la première fois le hall de méditation, notre salle de classe pour 10 jours.

C’est une grande et belle pièce de plus de 100 m carré. Des coussins de médiation bleu quadrillent le sol. Il fait encore chaud et les nombreux ventilateurs au plafond ne font que mélanger l’air brûlant et moite au dessus de nos têtes. J’ai le coussin et l’emplacement numéro 25. Je m’y installe en tailleur, très maladroitement. Ca sera ma place pour 10 jours.
Là, point d’instructeur. Mais une assistante/professeur sri-lankaise. Bénévolement là pour nous aider dans notre compréhension de la théorie et nous épauler dans la méthode. Mais aussi là pour vérifier notre respectabilité, notre tenue, notre discipline. J’ai l’impression de rentrer au couvent. Et c’est ce que je fais finalement.
Les cours seront dispensés par G. Goenka. Enfin, sa voix. Sur une cassette le jour, en intro de méditation. Et son image, sur une cassette vidéo VHS pendant1H30 le soir juste avant le couché.
Il est mort il y a quelques années. Mais tout son savoir est là, intacte. Le même pour tous depuis toujours à travers le monde.

Sa voix monte — la cassette est pourrie — j’ai du mal à comprendre son accent.
En gros, tout commencera demain et le chemin sera dur. Mais c’est en toute connaissance de cause que nous nous engageons à suivre la formation jusqu’au bout.

A la fin de son discours, Le silence noble débute. Plus aucune parole ni interaction avec les autres méditants pendant les 10 prochains jours. Le but étant de rester concentrer sur notre exercice et sur nous. Les hommes se séparent des femmes. Ils le seront jusqu’à la fin. Nous les verrons de loin. J’observe ma voisine de chambre jouer le jeu et ne pas regarder son mec sortir de la salle.

Il fait nuit dehors. Nous sommes rentrées presque amies, nous ressortons fantômes : formes blanches silencieuses glissants dans la nuit à la file indienne jusqu’à nos baraquements.
Je franchis la porte de ma chambre.
Comité d’accueil : 2 cafards géants (10 cm de long pour 3 de large) m’attendent sur le mur à la tête de mon lit. Je hurle entre mes dents. Ils s’enfuient sous le lit. J’ai pas le choix, je pisserai demain. Je saute sur mon lit, bourre la moustiquaire sous mon matelas en gardant à coté de mon oreiller ma lampe torche, ma bouteille d’’eau et mes boules qui-ès. Je laisse contre mon lit mes armes : un balaie et mes tongs.
Je mets le réveil à 4h, en priant pour que la merde que j’ai acheté sur le marché fonctionne, enfonce mes boules qui-ès, rempart au monde extérieur et aux bruits des mille monstres qui s’y abritent.
Une cloche sonne. Il est 21h30: extinction des feux. Le noir s’engouffre dans ma cellule. Je ferme les yeux
Putain, mais qu’est ce que je fous la sérieux. Si c’est pas pathétique.
Je verse ma troisième larme de la journée.

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DAY 1

Une cloche sonne une fois dans le silence. Bruit lourd dépourvu de sens. Puis une seconde fois.
J’ouvre les yeux. Je ne sais tout simplement pas où je suis.
Un 3ème gong retenti : Sri Lanka… Vipassana. Merde…
Un coup d’œil à travers la moustiquaire sur mon réveil à piles : 4H.
….

Je saisis ma lampe torche et risque un pied hors de ma protection. j’allonge un bras et allume l’interrupteur. Attendre quelques secondes que les monstres se tirent…
Pas le choix, je dois y aller. Je glisse dans mes tongs. Risque un œil sur les toilettes. Trop sombre, je ferai dans la douche.
Je me déshabille en prenant soin de laisser mes vêtements de nuit en hauteur.
Je me glisse sous le pommeau de douche et l’inspecte quelques secondes…Personne. Bon…
Ouf l’eau est
… hurle ! Un énorme cafard traverse le mur à ma droite et détale derrière le miroir du lavabo/ Enculé de sa putain de race!!
Bon, je ne me servirai pas du lavabo ce matin…
15 secondes plus tard, je suis mouillée, lavée, rincée et sortie de la douche. Tremblante, je me sèche… A peine. les moustiques sont déjà la et m’attaquent les chevilles. Je me vaporise rapidement et abondamment de citronnelle. Tousse. Je vais finir par m’achever toute seule!
J’enfile ma tunique et mon pantalon large en coton blanc et natte mes cheveux à l’aveuglette.

Dong : 4:20.. Je saisis ma lampe torche, je sors.
Derrière ma porte, la nuit noire a envahit le ciel. Le peuple de la nuit règne. Il bourdonne et chuchote dans la jungle autour. je suis sure qu’il me guette.
Aucune de mes colloques n’est sortie. Je scrute l’allée sombre qui mène au hall de méditation.
No way.
Je retourne dans ma chambre et épie les bruits. Je comprends alors que nous faisons toutes pareil, car dès que ma porte se referme, deux autres s’ouvrent.
je m’empresse de ressortir. Deux formes blanches sont devant moi, immobiles, hésitantes. On ne se regarde pas, mais on se soutient mentalement. Allez, les filles faut qu’on se lance là!
Au loin dans l’allée, deux lueurs de torches ballaient le sol. Puis une, deux, cinq formes blanches glissent à la queue leu leu dans le noir.
Ho la lafaut pas les louper! Mes 4 coloc’ et moi, nous nous décidons d’un coup sans même nous regarder, et trottinons comme un seul homme pour les rejoindre. j’ai envie de rire et pleurer en même temps. Silencieusement, je me glisse dans la queue derrière une des femmes et la talonne. Ma voisine de derrière m’imite.
Il fait nuit, le bruit de nos pas sur la terre, le foisonnement des insectes autour, le faisceau sec et à l’affut de nos torches balayant le sol, nos cœurs qui tambourinent en silence…et les étoiles autours.

Devant le Damma hall, nous nous déchaussons. Certaines femmes sont déjà là. Nous ne nous regardons pas.
Alors, arrive en silence une tout petit bout de femme. Elle ouvre la porte et nous fait signe d’entrer.
Première de la file, j’hésite, puis me glisse sans un mot dans la vaste pièce. Cette fois, c’est parti…
Des coussins de méditation carrés bleus clairs quadrillent la pièce. Chacun est rehaussé d’un plus petit, bleu foncé. Je suis au 3ème rang. A ma droite, les trois toutes petites nonnes arrivent à pas feutrés. Elles s’assoient en une fois sur des petites tables en bois et ne bougeront plus d’un cil pendant toute la durée de cette première session.
Du coin de l’œil, j’aperçois les hommes rentrer par une porte située à l’opposé de la notre. Ils s’assoient silencieusement du coté gauche de la salle sans un regard pour personne. Ma voisine de chambre est déjà installée, les yeux clos. Elle n’a même pas regardé son mec.
Rholala, que ces coussins sont dur. Je suis assise depuis à peine 1mn et j’ai déjà mal aux fesses.
Une Femme maigre et sévère, aux cheveux gris, vêtue d’un sari blanc apparait par une porte latérale. Elle glisse sur le sol, se prosterne devant sa table de méditation et s’y installe, face a nous. C’est The Madam, la professeur assistante. Du bout de son index décharné, elle distille ces ordres. Silencieusement, calmement.
Un assistant homme se lève et obéi. Il trifouille et hésite sur une machine quelques secondes. Puis fini par trouver les interrupteurs qui mettent en marche, un à un, les 5 gros ventilateurs au dessus de nos têtes. Leur ronronnement rassurant remplie l’air déjà chaud. L’homme re-trifouille sa machine et tend un micro a The Madam. Ce petit jeu se répétera tous les matins pendant 10 jours, et dans le même ordre. Rituel rassurant, agaçant ou amusant selon les jours.
Je comprends par la suite que nos rangs nous sont attribués selon notre ancienneté. Tout devant : ceux qui ont déjà fait Vipassana, derrière : les autres, nous, les novices.
La petite femme de l’entrée, l’assistante, se glisse devant la Madam. Elle se prosterne devant elle, puis s’assit à sa droite, à genoux sur un coussin.
La Madam sort une nouvelle fois son index et l’appuie sur un magnétophone qu’on a pris soin de placer à sa gauche.
Une grésillement s’élève dans la salle. On règle l’appareil, et la voix lointaine, éraillée de G. Goenka rentre dans nos oreilles.
Du royaume des morts, il nous accueille. J’ai du mal à comprendre son accent.
Il nous rappelle que nous sommes là pour apprendre une technique très ancienne. Celle que bouddha à découvert en méditant sous son arbre. Celle qui permet à tout être humain, quelque soit son sexe, son âge, sa race, sa culture ou sa religion, de sortir de la souffrance.

IL va falloir se préparer, être fort et concentré. Volontaire. Le chemin sera escarpé, mais il sera là pour nous guider. Il nous le répète, Il suffit de travailler diligently, patiently and hardently.
Il nous précise alors que la formation Vipassana commencera vraiment au matin du 4e jour.
En attendant, nous avons trois jours pour entrainer notre esprit. Trois jours pour apprendre à être vif, subtil, concentré, fort, et léger à la fois. Trois jours pour apprendre l’Anapana (Attention sur le souffle).
« Aujourd’hui, concentrez vous sur l’air qui rentre et qui sort de vos narines. »
Il est 4:35 du matin.

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4:40 : Putain j’ai déjà mal au dos
4:45 : Rahh ça me gratte le nez un truc de ouf…
4:50 : Je ne sens plus mes doigts de pieds,
4:52 : Je vais éternuer…
4:55 : Merde, j’ai déjà oublié de me concentrer sur l’inspire et l’expire
4:57 : C’est pas dangereux de ne plus avoir de sang dans les doigts de pieds?
4:59: J’ai ultra mal au dos…
5:00 : J’ai un peu envie de roter
5:01: Bon j’ai roté, discret…
5:02: …L’air qui rentre et qui sort des narines….
5:03: J’ai le nez bouché, j’arrive pas a respirer…
5:04: Putain qu’est ce qui fait chaud..
5:05 : J’ai mal au cœur…
5:07: Et ce mal de dos entre les omoplates, ça me donne envie de gerber…
5:09 : J’ai vraiment envie de vomir ..
5:10 : C’est quoi ces petites suées là?
5:11: Je crois que je vais gerber…!!

Tant pis. Le plus silencieusement possible, je me lève et me glisse hors de la salle. Il fait encore nuit, mais les insectes se sont tues.
Je tremble et de la suée froide me coule le long du dos…
J’ai un haut le cœur… merde et je sais même pas ou sont les toilettes!
je tente un pas, mes jambes flagellent… je m’écroule sur le sol de la terrasse, les bras et les jambes en croix. J’ai le cœur qui me défonce la poitrine, la tête qui tourne, je suis en sueur. Je regarde les étoiles, elles sont un milliard…Le carrelage est frais, ça fait du bien. Putain j’ai même pas fait 30 mn… je ne vais jamais y arriver…comment je vais faire…?
je verse une larme.

La toute petite femme a dû me guetter, elle sort à ma rencontre et me fait signe en silence de rentrer.
Je me redresse et lui mime mon envie de vomir. Elle sourit, presque tendrement et me fait signe de la suivre.
Elle allume sa lampe torche et me guide dans l’allée jusqu’à un bâtiment.
J’oublie les insectes et m’écroule sur le trône… 1 mn, 2 mn…3mn..
Bon… ça va mieux en fait.
Je sors et risque une tête dans l’allée. Ho! la gentille dame m’attends patiemment quelques pas plus loin munie de sa merveilleuse torche…. je la rejoins en souriant. Du regard, je la rassure: Je vais y arriver je crois. Je n’ai plus peur.
Je retourne dans le Damma hall et me coule sur mon coussin. Allez! l’air qui rentre et qui sort de mes narines! Au taf!
In.. and out…
In and out…
In and out…

Laisser passer les pensées, sans jugement, revenir a la respiration, inlassablement.

Je tiens cahin-caha la seconde heure. Et ressort de cette première session… Explosée, lapidée, le dos, les reins, le cul, les bras, les pieds, le cou, les chevilles, les épaules, en compote…
Mais, j’ai tenu. Allez Alex, tu vas y arriver. C’est dur mais tu vas y arriver!
6h30–8h: petit dej’ et … sieste… Je mange en 15mn et cours m’écrouler une heure sur mon lit.

8h-9h: méditation
Mon corps est un puzzle, un édifice, une structure qui ne tient pas droit… rien n’est assorti, tout s’effondre.
Je pense aux pierres entassées, équilibre zen, par les marcheurs, je me visualise en 3 ou 4 parties…
Comment placer mon tronc sur mon bassin? Dans une certaines position, si je l’incline un tout petit peu, il soulagera mes hanches, mais tiendra en équilibre… Pareil pour ma tête : légèrement en arrière, sur mon cou, bloquée par mes épaules… Trouver l’équilibre pour que rien ne s’écroule, trouver l’équilibre qui repose.
In and out…
In and out…
In and out…

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9h-11H: Méditation. Deux heures qui trucident sa mère ! Mais c’est parti, je suis en treck. Un treck du corps et du mental. Je ne lâcherai pas. I’m a ZOULOU!
Les coussins sont durs comme de la pierre, j’ai les fesses en milles morceaux. On dirait quelle se sont moulées tout autour…Mais je l’aurai mon kif, mon paradis, ma paix!

11h-13h : déjeuner et sieste! Je mange en 20mn mon curry de légumes (délicieux en passant) et cours m’écrouler 1h sous ma moustiquaire!

Le gong sonne a 12h50 et m’extrait de mes cauchemars. Je vois des cafards partout, et ce, dès que mes paupières sont closes. Je suis en train de développer une énorme phobie. Dans ma chambre, je ne fais pas un pas sans mon balais et sans être à l’affut de tout ce qui bouge. Dommage pour moi, je me fait de nouveau surprendre et cette fois par 4 cafards géants. Je n’y arriverai pas, je n’y arriverai pas… la crise d’angoisse est là, tapis pas loin… je la chasse, mais j’ai peur.

13h-14h30: méditation (au trois quart : sieste ) il fait une chaleur de ouf — même les nonnes dodelinent du chef)
In and out…
In and out…
In…zzzzz in….
….zzzzzz
??? and in? and … fuck!

14h30–15h30: méditation
Pourquoi je suis là déjà?… tais toi, respire…

15h30–17h00: méditation
Mon corps est un naufrage, la douleur me transperce, je m’agrippe à ma respiration comme une damnée. Il n’y a qu’elle qui allège la souffrance, qui donne un sens, une direction.
In and out…
revenir a la respiration
In and out…
inlassablement
In and out
putain ça fait 20 mn que je radote sur mon ex!
in and out
Revenir a la respiration
Toujours,
Ma bouée,
Mon chemin.

17h-18h: Gouté (rahhh!!! comme ils sont bons ces quakers tout sec!) Ambiancé avec du thé et une banane, ce dernier repas de la journée a des allures de festin.

18h-19H : méditation (ça sent bon làààà yéléééééé !)
in and out…
comme un refrain..
in and out… un leitmotiv
in and out… une cadence..
in and out…une transe…
Allez Alex…c’est bientôt la fin!

19h-20h30 : nous quittons le Damma hall pour une autre salle. Le chemin pour y aller prend des airs de promenade. Qu’il est bon de sortir de l’habitude.
Nous y rejoignons les hommes en silence, sans un regard pour eux, ou alors trèèèèès discrètement (héhé!) Projection de la vidéo du soir. Quel kif! Discours de Goenka et théorie. L’homme est passionnant : clair, précis, pédagogue, empathique, et… drôle! Je m’écroule sur un coussin, ma colonne ne me tient plus… L’assistante me sermonne : Assise!
(salope…)

20h30–21H : retour silencieux en salle de méditation. La nuit est tombée. Cette dernière demie-heure passe à la vitesse de l’éclair. Il fait encore chaud.
In and out.. tout coule et s’écoule…mon souffle… j’ai l’impression d’être dans un bain de moi…

Éreintées, nous regagnons en fil indienne nos chambres. C’est la fin du premier jour. Et je suis toujours là.

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DAY 2

« Aujourd’hui, concentrez vous sur l’air qui rentre et qui sort de vos narines et sur toutes les sensations ressenties sur le bord de vos narines : picotement, chaleur, fraicheur, pulsion, pression, dilatation, courant d’air, sueur… Observez. »

Quel programme ! Je ris intérieurement. Cette nouvelle instruction me séduit, elle élargit le champ de mon exercice. J’ai un continent à investir : mes deux narines ! Quelques millimètres de peau et de chair, terrain d’observation de cette nouvelle journée.

Après la pause petit-déjeuner, j’ai pris une initiative de ouf : j’ai décidé de ramener mon oreiller en salle de méditation. La meilleure idée de la matinée.

Car si j’ai survécu à la violence du premier jour, c’est surtout grâce à ma faculté à me transformer en vrai petit hamster, amassant au fil des heures moultes coussins aux formes et textures les plus variées. L’un supportant mon genoux, l’autre mon pied, l’autre servant de repose-cheville, un autre m’aidant à incurver le bassin.
Pourtant, ça n’allait toujours pas, l’édifice restait brinquebalant.

Désormais, grâce à mon superbe oreiller tout mou, je réussi l’exploit de caler l’ensemble en deux ou trois coups bien ordonnés. C’est tout doux, c’est mon doudou et je vous le dit comme je le pense : je l’aime.

Depuis, les heures s’écoulent plus sereinement. Je cale ma position et mes supports en début de session et ne bouge pratiquement plus.

IL est donc 18h, du second jour, l’après-midi s’allonge. Je suis dans un rythme de quasi croisière, j’observe les sensations. Je ne pense pratiquement plus. En bon petit soldat, je bosse.

Une pression sur l’épaule. J’ouvre un œil. La petite assistante est agenouillée à coté de moi. Du regard, elle me désigne la Madam qui me fait signe de la rejoindre.
Je m’agenouille à sa hauteur, comme j’ai vu faire les autres méditants et lève vers elle un regard interrogateur.
« Ramène ton oreiller dans ta chambre et va te servir d’un autre coussin de méditation dans la remise derrière. »

Son ton n’implique aucun choix. Je suis dégoutée. Le mot est faible. J’en rage, j’en pleure intérieurement. Sans mon oreiller, tout mon équilibre est faussé. J’ai de nouveau mal partout, plus rien ne tient. Mes courbatures du premier jour se réveillent, je n’arrive plus à me concentrer.

Je rage contre la Madam, je fulmine, et rumine pendant 1h 30 au lieu de méditer.

Elle va me faire tout rater !

La session terminée, pendant la pause de 5minutes, je vais chercher de l’aide auprès de la petite assistante. Je tente de lui expliquer qu’il m’est vital de récupérer mon oreiller, que sans lui je n’y arriverai jamais. Je ne rigole pas, je n’ai aucun recul : c’est une question de vie ou de mort.

L’assistante me fait signe de la suivre dans la réserve. Des coussins de méditation de toutes les tailles y sont empilés jusqu’au plafond.
Cette fois s‘en est trop, je lâche les vannes. Je pleure à grosses larmes.

« Non, ils sont trop durs, je n’y arrive pas. Je veux mon oreiller ! »

Je la saoule, je le vois. Son gentil petit visage a pris un petit pli agacé. Elle hausse les épaules et me désigne la Madam. « C’est elle qui décide. »

Putain…

Les méditants se sont réinstallés sur leurs coussins. Je n’ai plus beaucoup de temps. Je tente mon dernier coup et file devant la madame. Je me ré-agenouille. J’insiste.

Elle me regarde fixement.

J’essaie de prendre le ton le plus révérencieux possible, mais mon caractère de merde est tapis juste en dessus. Elle le sent. Je dois me calmer.

La Madam finit par me sourire et dans un soupir me lâche un : « Okay… »

Je jubile.

En vrai, J’ai toujours eu un problème vis a vis de l’autorité. La faute à une autorité, bête, crasse, méchante et mal placée qui m’a plus abimée qu’autre chose pendant mon enfance.

Depuis, je ne peux supporter que l’autorité sage et fondée. Tu veux me commander ? Apprends-moi quelques chose et donne l’exemple !
Ce n’est pas pour pour rien que je suis devenue freelance. J’ai pété les plombs dans tout mes CDD, CDI. Le prototype même du salarié impossible à gérer pour le chefaillon lambda.

Sauf que…
Pour t’adresser a The Madam, tu dois jouer le jeu. Tout occidental, grande gueule que tu sois. Tu lui dois le respect. Tu ne cherches pas : c’est elle le savoir et l’autorité.

Donc, au début, tu prends sur toi, tu t’agenouilles devant elle, et tu apprends à relever gentiment les yeux vers elle, dans une attitude que tu espères appropriée.

Le plus drôle la dedans, c’est qu’on s’y fait. Ne pas perdre de vu le but — je me suis transformée en pute. A comprendre, je suis passée maitre dans l’art de la régression.

Et puis au fil des jours, et de mon apprentissage, j’ai arrêté de faire semblant. La Madam était là pour nous montrer le chemin. Nous empêcher de couler, nous guider dans les tourbillons, nous soutenir quand on y croyait plus, nous rassurer quand on sombrait, nous applaudir quand enfin … on comprenait.

Alors, J’ai fini par l’aimer et la respecter.

Retour au baraquement.
J’ai failli laisser tomber le second jour. Pas à cause des douleurs physiques, pas à cause du rythme, ni de la concentration ou de la monotonie de l’exercice.
J’ai failli laisser tomber à cause des… bêtes. Vous l’aurez compris, J’aime pas les cafards.

Cette phobie date de ma période chambre de bonne alors que j’étais étudiante. A l’époque, je logeais gratuitement dans une grande chambre de 17m2 au dernier étage d’un immeuble bourgeois du 7e arrondissement. Après mes cours, je filais m’occuper des enfants de la propriétaire, faisait le ménage dans leur chambre et leur salle de bain, aidait à leur devoir. En échange, je ne payais ni loyer ni charges. Une aubaine, pour une jeune, qui comme beaucoup, n’avait ni tunes ni aides, mais qui n’aurait pas supporter de passer un mois de plus dans la maison familiale.

J’avais réussi à me faire un petit cocon douillet, avec vue sur les Invalides. J’expérimentais la liberté. J’étudiais. Je kiffais.

Sauf pour un détail. Les putains de cafards qui me rendaient visite tous les soirs. J’avais essayé tous les traitements, je m’étais presque intoxiquée, rien n’y faisait. Je les avais pour colloc’.

Le plus curieux, c’est que dès que je suis passée à l’est (de Paris hein) je n’en ai plus jamais vu un seul.

Bref, depuis cet épisode, j’ai eu l’occasion de trainer mon spleen dans de nombreux pays aux climats chauds et moites, repères d’une variété de cafards en tout genre (Je ne parle même pas de ceux qui…volent !) avec comme point commun, leur tailles et leurs monstrueuses résistances.
Et je ne m’y suis tout simplement jamais fait.

Ma chambre donc, pendant Vipassana, a été le lieu de toutes les rencontres : cafards, frelons et fourmis géantes, araignées, rats, crapauds tapie dans la cuvette des chiottes (Ah tu le voulais ton chiotte !), moustiques voraces, mantes religieuses DANS ma moustiquaire…

J’étais au supplice.
Chaque retour au bercail me mettait sur le qui vive. Je hurlais toute seule deux à trois fois par jour. Mais je suis trop fière : un abandon aurait été intolérable. Les autres géraient la même faune, mais contrairement à moi baroudaient depuis des mois. J’étais encore bien trop pétrie d’occident.

Suivre Vipassana implique l’adhésion totale à 5 principes :

Ne pas parler;
Ne pas boire d’alcool;
Ne pas avoir d’activité sexuelle;
Ne pas voler;
Et ne pas… tuer !

Merde ! Nous allions devoir cohabiter.

Je me suis donc retrouvée à faire la seule chose que je fais en cas de gros projets (avoir mon bac, partir de la maison, aller en Australie, réussir mon test pour la formation de journaliste, mon premier enfant, devenir scribe) :
j’ai prié.

Et dans ces cas là, j’ai une recette qui fonctionne pas mal. Je prie mes morts : ma mère, ma grand mère ; je prie la nature : Pacha Mama (la déesse de la fécondité en Amérique du sud, que j’ai prié pendant 3 mois et qui, je le crois, m’a permise de concevoir enfin mon premier fils, après 18 longs mois d’essais infructueux). Et puis, pour conclure, je saupoudre le tout d’un petit « Amen », au cas où ça serait vrai toutes ces histoires de bon dieu…

C’est ainsi, qu’au soir du second jour, sous ma moustiquaire, me sachant plus centrée que je ne l’avais jamais été jusqu’à alors, dans le noir j’ai prié :
« Ecoutez les gars, je veux bien cohabiter, mais va falloir m’aider là. On va devoir s’entendre, coordonner nos rythmes. Le jour c’est pour moi, la nuit c’est pour vous. Ok ? Vous faites comme vous voulez, mais je ne veux pas vous voir ! »

Bah vous savez quoi ? Ca a marché.
Progressivement, j’ai commencé à voir moins de cafards. Et à partir du 4 e jour, dès que j’allumais la lumière, je n’en voyais plus. Ou alors, si, un petit bout d’antenne dépassant d’un tuyau, une petite patte derrière un miroir.

Contrat respecté. Ils m’ont même fait sourire.

DAY 3

Aujourd’hui, concentrez-vous sur l’air qui rentre et qui sort de vos narines, et sur toute la surface formant un triangle sous vos narines, jusqu’à la partie juste au-dessus de votre lèvre supérieure. Gratouilli, chatouilli, pression, douleur, chaleur, fraicheur, pulsation, courant d’air… Observez.

Bouddha Siddhartha s’assit un jour sous un arbre et se mit à méditer. Ce n’était pas la première fois qu’il méditait. Mais cette fois, il se dit qu’il ne bougerait pas tant qu’il n’aurait pas enfin vraiment compris d’où venait cette putain de souffrance humaine. Il s’assit, se concentra sur sa respiration et observa.

Notre corps est composé d’une multitudes d’espaces vides et de particules subatomiques. Ces derniers créent des réactions chimiques : explosions et vibrations. Aussi, sans que cela n’arrive à notre conscience et sans que nous les commandions, nos organes internes fonctionnent.
Chaque particule subatomique, n’a pas de réalité solide. Car elle n’a, en réalité, qu’une durée de vie inférieur à des milliards de milliard de secondes. Ainsi, continuellement, chaque particule apparait et disparait. Chaque naissance et chaque mort créant comme un courant de vibrations.

Voici la vérité du corps qu’à découvert Bouddha. Et c’est cette vérité que nous a enseigné S. N. Goenka.

Une vérité simple et terrifiante à la fois. Rien n’est. Tout nait et meurt. Tout est en constante évolution. Tout n’est qu’impermanence.

Donald Glaser, un scientifique américan obtint, en 1960, le prix Nobel de physique, en observant, avec un instrument, le même phénomène. Chaque particule subatomique (masse, température, cohésion, implosion, explosion, en mouvement ) apparait et disparait 10 (22) fois par secondes.

Alors, si on se dit que L’univers est lui même composé de particules qui se combinent pour former des structures, chacune soumise aux processus continuel d’apparition et de disparition, on peut arriver à cette conclusion :

Si je veux réellement comprendre les lois de fonctionnement de l’univers, ne devrais je pas commencer à comprendre comment moi je fonctionne? Puis, encore : si j’arrive à comprendre comment moi je fonctionne, ne pourrais je alors comprendre les lois de l’univers?

Vertige.

Qu’est ce qu’une rivière? La Seine par exemple.
Une entité, un courant d’eau, qui s’écoule continuellement entre un point A à et un point B. Un courant d’eau, qui se renouvelle sans cesse et qui n’est jamais le même. La Seine donc, nait et meurt chaque seconde, pourtant, c’est bien la Seine.

Qu’est ce qu’une ampoule encore? Un courant continu. Regarder la lumière d’une ampoule, consiste donc à regarder quelque chose qui est un produit du passé, et qui l’instant suivant, sera remplacé par quelque chose de nouveau.

Là où Bouddha dépassa la Science, c’est qu’il ne se contenta pas de comprendre cette théorie. Il l’éprouva. Et n’eut pour cela besoin d’aucun instrument : il s’observa.

Suivant ces conseils, j’ai donc commencé à m’observer du plus près qu’il ne m’est jamais été donné de me voir. C’est à dire : de l’intérieur.

Les premières heures, furent maladroites, grossières, impatientes.
Alors, je suis allée plus loin.

Qu’est-ce que le chaud? D’où commence t’il? Comment commence t’il? comment s’étend t’il? comment s’éteint t’il?
Et le froid? Comment ça se mesure? Est-ce par rapport au chaud?
Et ce picotement sous la narine? Comme une piqure d’aiguille. Ou est sa source précise? Dépend-il du chaud? Vient-il en réaction au froid?
Ça me gratte… Mais ça veut dire quoi, gratter? Ça a quelle teinte ? Est ce une sensation large? Fine? Est ce que ça roule? Non, ça monte… et la source alors? Est-ce toujours la mème? Et que fait le reste de la surface autour?
Tiens… ça palpite…
Marrant, on dirait que ça stagne.
Ca redescend maintenant…
Ho, ça s’arrête!

“… Tout nait et meurt… “

Maintenant, ça me pique à gauche. Sur l’autre narine. Puis, à droite, sous ma lèvre… Tiens, un truc un peu plus fin, juuuuuste au-dessus de ce point… Houuuuu que ça chatouille! Et puis là encore, et puis ici aussi, en plus petit. Là, ça pique plus fort et là… ça éclate. On dirait des petites bulles, c’est curieux… y en a de plus en plus. Encore! Deux ici…cinq là-bas… dix… je n’arrive mème plus à les compter.. mon dieu, c’est une ébullition ! J’émulsionne de la lèvre!
Et là, qu’est ce que c’est que ça maintenant? Une pression à droite…puis à gauche. On dirait, que j’ai un truc qui bouge sous la peau, sous les bulles qui éclatent… putain j’ai la peau, la chair, qui se meut… mais non, c’est tout l’ensemble qui ondule… doucement…tout doucement, tellement doucement…hOOOOoooo…je vibre!

C’est si simple et fou.

Le rouge derrière mes yeux clos devient violet. Je connais cette couleur.

j’ai arrêté de fumer l’an dernier grâce à l’hypnose. Assez bluffé par l’efficacité de l’outil, j’ai par la suite refait quelques séances histoire de dénouer deux trois nœuds récalcitrants. Et c’est au fil de ces séances, que j’ai réalisé que le travail commençait vraiment quand le rouge derrière mes paupières closes, devenait violet.

Ma lèvre supérieur en multi ébullition ondule au-dessus de moi. Mon visage y est suspendu. Mon corps semble suivre… je me demande si ça se voit de l’extérieur?
Je suis dans un bain de sensation. Infiniment subtiles…délicieuses.
Mes lèvres s’étirent en un sourire béat. Est-ce cela l’extase? Mais quel pied! Bouge plus Alex, tu risquerais de perdre le fil!
Derrière mes yeux, le violet se transforme en nuages qui petit à petit se dispersent. Je vois des cavités, des orbites clos. Les miens? Je flotte et quand je regarde tout autour, une matière translucide flotte autour de moi. Tout prend une teinte rouge et sombre…presque liquide. Que suis-je?
Un cordon, rouge et… plumeux (je ne trouve pas mieux comme terme) semble sortir de moi. Il prend son essor et flotte de plus en plus loin. Les nuages violets s’écartent encore laissant entre apercevoir une vallée, large et sombre, surplombée d’un énorme soleil rouge, rasant, triomphant, brulant. IL fume et ondule sous un ciel grand. Imprécis, des visages — masques Grimaçants — parfois hilares, percent les nuages comme un cache-cache. C’est beau et terrifiant à la fois. Comme un début de tout, un retour au pourquoi, au là où tout commence, au début où tout fini…l’impermanence!

LE SILENCE

“Pas un mot pendant 10 jours? Impossible pour moi!”
Quand j’ai raconté mon expérience Vipassana à mes proches, beaucoup ont flippé.

En vrai, j’ai eu une sacré chance d‘arriver en avance le premier jour. Deux heures de papotage qui m’ont permis de me rendre compte par moi-même de l’équilibre psychologique de mes colocataires. Parce que sinon…
White is the new black, ca vous parle?!

Pour arriver au plus profond de soi, l’observateur ne peut connaitre aucune distraction. Le travail est trop subtil, trop infini et con-centré sur une infinité de mondes. Il n’y aucune place pour l’autre et encore moins pour le social.
Nous avons du nous re-tirer en nous-même.
Plus aucun regard vers l’autre. Plus aucune communication, même gestuelle. L’ empathie, l’humour n’existent plus. C’est un replis vers soi salutaire qui ne permet aucune distraction de l’essentiel : soi.

Et c’est en faisant tomber le masque de la politesse que je me suis rappelée qu’un visage, un corps en mouvement, si regardé vraiment, ne peut qu’exprimer sa vérité la plus crue.
J’étais entourée de toute une flopée de personnages sortis du pire film de cauchemar psychologique : serial-killeuse italienne, garçon manqué agressif, psychopathe irlandaise — princesse africaine séductrice et féroce, sri-lankaise dévergondée et machiavélique — terrifiante petite poupée russe ingénue, australienne exaltée au regard vide…

Une bande de zombies effrayées et en colère.

Au début, j’ai fui les regards. Je me suis forcée à ne pas les voir. Ce n’était pas naturel. Presque égoïste. Un genre de “chacun sa merde” avec lequel je ne suis pas à l’aise. Et puis, progressivement, les autres sont devenus ce qu’ils ont toujours été : un simple paysage mouvant au grès du souffle.

Quand on n’a personne avec qui parler on ne peut pas tricher.
Souvent, pendant les heures creuses, l’égo cherche un ami, un interlocuteur. Et c’est comme ça, que tout doucement, commence le jeu de soi à soi.

Au début je me regardais. Tiraillée entre la honte et l’autodérision.
Mais vu le vide ambiant des moments de pause, j’ai commencé à me faire sérieusement chier.
Alors, je me suis parlée. J’ai fait les questions et les réponses.
A me prendre à témoin.
Le plus drôle la-dedans, c’est qu’à force de me côtoyer, j’ai fini par me lâcher. Si vous saviez les barres de rire que Moi et moi on s’est tapé dans le noir!
Et dans le creux de ce silence partagé, j’ai découvert quelqu’un de courageusement vulnérable. Quelqu’un que j’aimais bien. Dont j’étais fière.

C’est une merveilleuse expérience que de faire silence. Essayez.

DAY 4 to 9

Voilà, on y est. La formation Vipassana commence.
Je suis terriblement excitée et impatiente.
Jusqu’ici, j’étais en entraînement. Un run d’essai.
Balèze le run d’essais. Mais ça y est, je maîtrise.

J’ai essayé mes jambes, je sais où elles font mal et comment les faire rebondir. J’ai pris du muscle. Je sais ce qu’elles absorbent et jusqu’où elles peuvent me tenir.

J’ai découvert une infinie portion du subtil et de l’intangible.
Nous attaquons à présent tout le corps! Ca promet…!

Tout naît et meurt.
La souffrance vient de la réaction.
Choisir d’observer plutôt que de réagir.

Capiche?

Donc, en clair : si du fond de tes cellules, tu captes le concept, plus rien n’a véritablement d’importance.
-”Oui, mais J’ai mal…”
– Ok. Observe. Ca vient d’où, ça à quelle couleur cette douleur. Quelle forme? Est ce que ça bouge? “

Plus tu examines ce que tu ne connais pas, plus tu te familiarises — et moins tu en as peur. C’est un peu le concept d’anti-racisme non? 😉
Le masque de l’inconnu disparaît. La douleur n’a plus l’étiquette “douleur”. C’est juste une sensation qui naît, vit, se disperse et meurt.

Entre nous, si on nous avait expliqué le concept dès le premier jour, ça aurait été un chouille plus facile… bordel!

Au tout début était le souffle.
Je commence à focaliser mon attention sur ma respiration.
J’inspire, j’expire…
Absorbée dans ce mouvement et cette sensation, je ne pense même plus.

Crépitement.
Le lecteur commence commence à déchiffrer la bande de la cassette, libérant la voix rocailleuse de Goenka.
Je me suspend un instant. Aux aguets. Sa voix monte. La plainte d’un vieil homme.

Pour toucher l’harmonie, il faut de la patience. Car cette rusée ne s’installe que quand on ne l’attend pas.
Il faut lui laisser le temps. Le temps de venir. D’habiter l’antre de ton moi.

  • “Nous allons observer désormais le corps dans sa totalité.
    Mais nous procéderons tout d’abord, étape par étape.”

Je commence à scanner. Au tout sommet de ma tête, Goenka nous invite à imaginer une ventouse.
Je sais l’image est ridicule. Mais il semblerait bien que je sois devenue dingue, alors autant assumer et ambiancer cette visualisation!

A force de l’imaginer, je ressens la pression que la ventouse pourrait créer tout contre mon crâne. C’est mon signal de départ.

Patiemment j’observe toutes les sensations autour. Millimètre par millimètre. Mon perfectionnisme, ma curiosité et ma patience sont à leur niveau maximum. Je kiffe.

Du crâne, je coule ma conscience jusqu’à mes orbites — eux-même remplis par mes yeux.
J’y fais ma première trouvaille de la journée : le globe de l’œil est comme liquide. Il balance de droite à gauche. Comme une barque flottant au grès des courants.. Hallucinant.
Il n’y a pas de petites découvertes.

Je descend vers mon nez puis vers ma bouche. Ils se rappellent presque automatiquement à moi et se mettent en quelques seconjdes en ébullition.
Yes : ca fonctionne!

Alors patiemment encore, je descends. Millimètre après millimètre : ma gorge, la base de mon cou, mon épaule droite, la gauche, mes bras… jusqu’au bout des mes doigts : Délire comme ils sont sensibles! Comme des radars. Le point où tous les flux se réunissent.

Allez on ne s’attarde pas. On ne réagit pas : on observe.
Le second bras maintenant… et puis le tronc : devant, patiemment.
Derrière : mon dos. Mon dieu que de nœuds.

  • “A chaque nœuds arrêtez-vous. Observez. Puis passez votre chemin.”

Ok, check, maintenant : je continues.

Cette première descente doit bien me prendre une demie-heure.
J’ai l’impression d’avoir traversé l’Himalaya. Je n’ai pas seulement regardé, j’ai découvert et j’ai compris.

La remontée maintenant, allez!
A chaque nœud, sensation, douleur : inlassablement, je m’arrête, j’observe.
Tout naît et meurt.
Je n’ai plus à avoir mal. Le MAL n’existe pas. C’est chaud ou c’est froid, c’est rond ou c’est dur, c’est doux ou abrupt. Mais c’est avant tout : passionnant.

A force d’étudier, je comprends chaque forme, chaque vitesse. Je comprends que le plein vient du vide, que le noir appelle le clair, que la chaleur naît du froid… C’est si beau et si vertigineux que j’en pleure.

TOUT est là, au plus profond de soi. La réponse à tous les pourquoi. Depuis toujours.

Je comprends les liens, je comprends pour une fois pleinement la notion de cause à effet.
Je comprends les systèmes. Tous les systèmes.

Je ne me fais pas respecter par mon mec, je suis en colère : je serre la mâchoire.
Je bosse sous pression, je suis en colère : je serre la mâchoire.
Fatiguée, je ne crée plus, je suis en colère : Je serre la mâchoire.

Ces réactions créées toute une armée de réactions invisibles à ma conscience éparpillée de femme pressée.
Or, ces nœuds continuent à vivre et pleurent de ne pas être reconnu.
Ils s’alimentent entre eux en chaîne cannibales et aveugles jusqu’à trouver un nid dans lequel se lover.
De nœuds en nœuds, je suis le chemin… pour arriver à mon bassin. Je scanne plus précisément la fin du chemin : un tendon sur ma hanche gauche. Qui pulse.

J’ai une tendinite depuis deux ans à la hanche que je n’arrive pas à soigner.
Putain!

Je récapitule, visualisez!
Chaque émotion est un signal qui rappelle à l’inconscient qu’il n’est pas en joie.

  • “Hé ho du bateau, tu tangues la! Remets toi dans l’axe!”

Or si on ne regarde pas frontalement cette émotion, on ne voit pas le nœud qu’elle a créée. Pire on l’oublie. Le nœud reste alors serré. Et nous du haut de notre tour d’ ignorance, on pense être passé à autre chose.
Mais, chaque nouvelle émotion similaire, se recale d’instinct sur le même nœud, le serrant d’avantage.
Quand le nœud est complètement noué, il envahit l’espace adjacent…Un nœud appelant un autre nœud… et c’est toute une chaîne de tension qui se crée sans même que l’on s’en aperçoive.

Faire Vipassana, c’est aller à la chasse au nœuds! Façon Jedi de l’attention!

Et le le truc le plus fou c’est qu’ils ne sont même pas trop demandant : le simple fait de les reconnaître dans leur forme et leur mouvement, leur suffit pour se… libérer.

Faire Vipassana, consiste donc à se libérer du poids des émotions, en les regardant… tout simplement.

Il faudrait surement toute une vie, voire plusieurs, pour arriver à faire place nette à intérieur. Mais j’ai découvert un chemin. Et vous savez quoi?
Il est aussi simple qu’un souffle.

Nous nous sommes scannées de haut en bas inlassablement pendant des jours. Baignant progressivement dans une conscience totale. Chaque bout de soi révélé, chante sa joie.

Ce moment créé est hors du temps : Léger, en suspension, intense, doux, chaud, lumineux, sensoriel…une compréhension du tout ABYSSALE.

l’Etre émerge par accoup. Un peu maladroit… Surtout à l’improviste.
Une seconde vous étiez là en plein travail, la seconde d’après vous faites péter un énorme nœud qui en cascade défait toute une chaîne : Ouverture.

En une fraction de seconde, le temps suspend son vol. Et vous, vous flottez au milieu.
Ce moment, les gars, sérieux : y a pas de meilleure came.

A chaque libération, le champs du scan s’élargit, la conscience, enfle…elle dépasse le cercle du soi, et remplit l’espace et la salle.
Nos cellules en vibration se mélangent aux cellules en vibration libres de l’air, du sol, du son, des arbres…. de mes voisines… des animaux un peu plus loin… et de vous aussi, qui me lisez ici.

L’œil s’ouvre enfin et pendant cette infinité, je SAIS, humblement, au plus profond de moi : que TOUT est UN.

Imaginez un instant le champ des possibles?
Vertige…